Chronique Lysiane Gagnon Justin Trudeau en Inde

Le cirque ambulant

La désastreuse tournée indienne de Justin Trudeau, venant après plusieurs prestations ratées à l’étranger, confirme deux choses : primo, ce premier ministre, qui n’en a que pour le spectacle, semble incapable de représenter son pays dignement, et avec un minimum de sérieux. Secundo – et c’est peut-être encore plus inquiétant –, il n’y a personne autour de lui qui puisse l’encadrer et le conseiller adéquatement.

Le cirque ambulant qu’a constitué son voyage en Inde a certainement été un sommet dans le genre, mais il y avait eu bien des signes avant-coureurs.

Dans sa première apparition devant l’Assemblée générale des Nations unies, M. Trudeau a consacré l’essentiel de son discours à faire le procès du Canada pour ce qui est du traitement des autochtones. C’était du jamais-vu : un chef de gouvernement qui, à l’étranger, s’applique à dénigrer son pays au lieu d’en vanter les réalisations !

Sa visite à Hanoï, l’automne dernier, pour le forum de la Coopération économique Asie-Pacifique, avait été un échec consommé. L’indécision et les tergiversations de la délégation canadienne ont eu pour effet de retarder, sinon de compromettre la réalisation du projet de libre-échange de la zone Pacifique.

En décembre, autre voyage catastrophique, en Chine cette fois. Le premier ministre Trudeau et sa suite se sont présentés devant leurs homologues chinois mal préparés et dépourvus de plan de match, comme une bande d’amateurs. Comme si l’on pouvait, dans un pays structuré et hautement hiérarchisé comme la Chine, s’entendre sur des projets griffonnés à la dernière minute sur un coin de table !

M. Trudeau a ajouté à la confusion et à l’irritation manifeste de ses hôtes en exigeant inopinément que la Chine s’engage, dans le traité de libre-échange, à agir en faveur du climat et des questions de genres (sic). Une exigence qui relevait soit d’une naïveté abyssale, soit d’une tactique grossière pour plaire à son propre électorat.

Selon David Mulroney, ancien ambassadeur du Canada en Chine et président du St-Michael’s College de l’Université de Toronto, cette improvisation tient au fait que la préparation des voyages diplomatiques de M. Trudeau est revue et corrigée par des « légions de conseillers politiques hyperpartisans » qui ne pensent qu’en termes électoraux et qui n’ont aucune idée de ce que l’autre partie veut ou ne veut pas, ce qui les rend évidemment incapables de concevoir des stratégies susceptibles de déboucher sur des accords.

« Il faut certes soulever les questions des droits de l’homme avec la Chine, écrit l’ancien ambassadeur dans le Globe and Mail, mais cela doit se faire dans les rencontres d’ordre général. C’est peine perdue que de vouloir les inclure dans des clauses portant sur des échanges commerciaux. »

Curieusement, M. Trudeau, n’hésite pas à s’acoquiner avec les promoteurs chinois au Canada même, sans exiger de garanties d’intégrité minimales de la part de ces investisseurs. Le même homme, par ailleurs, se fait fort de pratiquer l’angélisme à l’étranger, distribuant ses leçons de morale calquées sur les mœurs canadiennes en vogue dans les milieux urbains du Canada du XXIsiècle.

Cet étalage de bons sentiments, qui suintent à plein nez le néo-colonialisme, lui sert d’approche diplomatique, et tant pis si cela tombe à plat dans des pays où l’on n’est même pas rendu à l’ABC du féminisme.

Ainsi, les dirigeants africains ont-ils dû écouter M. Trudeau les sermonner sur les droits des transgenres lors de son allocution au Sommet de la Francophonie (une allocution où il a oublié de parler de la… francophonie) !

Quand Justin Trudeau était dans l’opposition, il manifestait déjà une légèreté d’esprit inquiétante, mais l’on se rassurait en se disant qu’une fois élu, il s’entourerait de gens compétents et responsables. Ce n’est pas ce qui est arrivé.

Ses principaux conseillers sont des amis intimes qui sortent du même moule que lui et sont, comme lui, obsédés par l’image – sa directrice de cabinet Katie Telford et son alter ego Gerald Butts.

Cette fois, cependant, la coupe a débordé. Ces huit jours en Inde, ce premier ministre enturbanné et enrobé de soieries qui cabotine en exécutant un numéro de danse hindoue avant une entrevue officielle, ces déguisements ridicules dans des rencontres où les Indiens, eux, étaient en complet-cravate, les photos des trois enfants cyniquement instrumentalisés, enrobés de soieries et les mains jointes façon Maharishi Mahesh Yogi, tout cela a déclenché les moqueries du monde entier, de la BBC au Monde (« En Inde, Justin Trudeau raillé pour sa “diplomatie de la mode” ») ou L’Express (« Impairs diplomatiques et tenues ratées, la visite fiasco de Trudeau en Inde »), sans parler des journaux indiens et canadiens. Même CNN s’est mise de la partie en décrivant la tournée comme « un train qui n’en finissait plus de dérailler ».

Tous les observateurs étrangers ont noté que le premier ministre canadien avait eu droit à un accueil indifférent sinon hostile, et ont comparé son traitement avec les égards que l’Inde a récemment réservés aux premiers ministres du Japon et d’Israël.

Derniers déraillements de l’interminable tournée : accusé à mots couverts par les politiciens indiens de complaisance envers le terrorisme sikh, Justin Trudeau s’est défendu de souhaiter le démembrement de l’Inde et selon un communiqué diffusé par le chef du gouvernement du Penjab, il a utilisé l’exemple du Québec pour condamner les « risques de violence » liés au séparatisme.

Grosse bourde qui l’a placé dans l’embarras au Canada, où les seuls épisodes de violence du mouvement indépendantiste québécois se sont produits alors que Justin Trudeau n’était même pas né !

Ce dernier a démenti le communiqué des Indiens avec véhémence, mais ce faisant, il s’est trouvé à laisser entendre que son hôte avait menti en relatant leur conversation à huis clos. Bourde sur bourde sur bourde…

Mais comment expliquer un tel fiasco ? La présence d’un sikh condamné pour tentative de meurtre sur un ministre indien, Jaswal Atwal, à deux événements officiels de la tournée ? Le fait que le bureau du premier ministre n’ait pu prévoir que M. Trudeau serait accueilli froidement, et quasiment « snobbé » par les autorités du pays ? L’absence presque totale de dossiers sérieux au programme de la tournée ?

De rares journalistes canadiens ont émis l’hypothèse que cette tournée avait été un succès puisque les libéraux se serviraient de cette masse de photos pour séduire l’électorat canadien d’origine sikhe et indienne. Cela ne tient pas debout : le couple Trudeau ne voulait sûrement pas devenir la risée du monde pour quelques voix de plus chez les sikhs de Mississauga ou de Vancouver.

Mortellement embarrassé, le bureau du premier ministre a envoyé un simple député au front, pour qu’il endosse la responsabilité d’avoir fait ajouter le nom de Jaswal Atwal à la liste d’invités du haut-commissariat du Canada à Delhi. On a découvert par la suite que cet individu était en fait un militant libéral bien connu à Surrey, en banlieue de Vancouver, et que M. Trudeau le connaissait personnellement.

Finalement, un mystérieux « haut fonctionnaire responsable des questions de sécurité » a été dépêché auprès de certains journalistes, dans le but de propager une « théorie du complot » pour le moins originale : plutôt que de tenir à l’incompétence de l’entourage du premier ministre ou des services de sécurité canadiens, la présence de Jawal Atwal aurait été voulue délibérément par les autorités indiennes, dans le but de discréditer un gouvernement canadien trop proche des extrémistes sikhs…

Ce bizarre incident, qui laisse supposer que le gouvernement aurait transformé un fonctionnaire censé être neutre en manœuvrier politique, engendre maintenant d’autres remous : le gouvernement indien est furieux que le Canada fasse circuler cette théorie.

Bref, le train continue de dérailler même une fois le cirque terminé. En moins de trois mois, par sa propre faute, le gouvernement Trudeau s’est discrédité auprès de la Chine et de l’Inde.

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